
On l’appelle la forêt des silences.
Pas parce qu’elle est calme, non.
Parce qu’elle avale tout : les cris, les suppliques, les odeurs. Elle garde les secrets des dominantes, des fous, des bêtes et des soumis.
Ce matin-là, j’y suis entrée avec lui. Il marchait derrière moi, silencieux, portant mon sac. Nu sous son manteau. Déjà dans un état second. Je ne l’avais pas touché de la matinée. Pas une caresse, pas un mot doux. Juste l’ordre sec la veille :
— Demain, tu seras exposé. Tout le jour. Dans la forêt. Comme un vulgaire bout de viande. Et tu diras merci.
Il avait dit oui. Il dit toujours oui. Même quand il tremble.
Nous avons marché longtemps. Assez pour qu’il perde ses repères. Assez pour qu’il comprenne que personne ne viendrait. Que si je disparaissais à ce moment précis, il pourrait mourir là, cellophané contre un arbre, inconnu, ridicule, oublié.
Mais je ne l’oublie jamais.
Le soleil commençait à s’élever. L’air était humide, presque collant. Parfait. Les moustiques viendraient plus tard. La vraie punition n’est jamais dans le coup de fouet. Elle est dans le temps.
— Déshabille toi.
Il obéit. Lentement. Honteusement. Il plia chaque vêtement avec une pudeur presque émouvante. Comme s’il allait les remettre ce soir. Ce ne serait pas le cas. Je l’avais décidé autrement.
— Adosse toi. Là. Contre ce tronc.
Un vieux chêne, large, rugueux, noble. À son pied, une soumission ignoble. Il s’est collé contre l’écorce, le dos cambré, le sexe tremblant, les pieds bien ancrés. Je l’ai regardé longuement, sans rien dire. Et puis j’ai sorti la bâche. Le rouleau de cellophane. Large. Industriel. Étouffant.
Il a compris à ce moment-là. Et il a gémi.
— Trop tard.
Je l’ai enveloppé sans un mot. Une première couche. Serrée. Puis une deuxième, une troisième, une cinquième. Chaque tour le privait un peu plus d’air, de mouvement, de liberté. Il ne pouvait plus bouger un doigt. Son sexe était pris au piège, écrasé entre le plastique et l’écorce. Ses jambes collées l’une à l’autre. Sa bouche libre, mais tremblante.
— Tu es à moi. Et aujourd’hui, même les arbres vont te juger.
Je me suis éloignée de quelques pas, j’ai pris une photo. Une belle. Artistique. Torture silencieuse. On y voyait un homme nu, prisonnier d’un arbre, comme une offrande faite à la nature. Un trophée. Une absurdité érotique. L’art de la domination.
Puis je suis partie.
Oui, Maîtresse l’a laissé. Là.
Pas pour dix minutes. Pas pour une heure. Pour la journée entière.
Il a attendu. Il a suffoqué. Il a gémi. Il a espéré que je sois proche. Que je l’observe, que je sois cachée. Mais non. J’étais repartie. Loin. Loin de lui. Je l’avais laissé là. Nu. Invisible aux passants, mais exposé aux fourmis, aux rayons du soleil, au vent qui se levait, aux cris des oiseaux qui se moquaient.
Le temps est devenu élastique. Une minute devenait une éternité. Il a salivé. Transpiré. Sa peau collait au plastique, puis au tronc, puis à sa honte.
Il a eu soif. Une soif atroce. Il a appelé. Un murmure. Un cri étouffé. Rien.
La lumière a tourné. Midi est arrivé. Son ombre s’est rétrécie. La chaleur est montée. Il a commencé à délirer. Il croyait m’entendre. Il disait mon nom. Des mots doux. Des supplications. Parfois il riait tout seul. Parfois il pleurait. Un spectacle lamentable et magnifique.
Et puis… l’averse. Soudaine. Froide. Une pluie d’été brutale, comme un seau lancé par le ciel. Le cellophane s’est tendu sous la pression. L’eau coulait entre ses cuisses, sur son torse. Il grelottait. Il criait à nouveau. Il m’appelait. Il jurait qu’il serait sage.
Je suis revenue en fin d’après-midi. Sans bruit.
Il ne m’a pas vue. Il ne pouvait plus voir. Ses paupières étaient gonflées, ses lèvres fendillées. Il ne parlait plus. Il n’était plus qu’un tas de peau, de peur, et de honte.
Je me suis approchée lentement. Très lentement. J’ai sorti un couteau. Il a sursauté.
Je l’ai libéré. Doucement. Lame après lame, centimètre après centimètre. Le plastique s’est ouvert, avec un son de chair qu’on déchire. Il a glissé contre le tronc, s’est effondré sur la mousse, nu, trempé, tremblant, sale.
Je l’ai observé. Longtemps. Et enfin, je me suis penchée à son oreille.
— Tu n’as servi à rien aujourd’hui. Tu n’as rien accompli. Tu as juste été un objet, attaché, humilié, exposé. Et tu m’en remercieras toute ta vie.
Il a pleuré. Et il a murmuré… merci Maîtresse.
Je lui ai souri. Et je l’ai laissé là encore une heure.
Pour qu’il médite.
Pour qu’il comprenne.
Pour qu’il n’oublie jamais.
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